Egyptiennes

Au cours d’un voyage en Égypte, j’ai remarqué ces bâches recouvrant des voitures en stationnement.
Trouvant le phénomène trop récurrent pour ne pas être cocasse, j’en photographiai quelques-unes. Ces
voitures bâchées, une fois enfermées dans le rectangle de la photo, prenaient une dimension que je
n’avais pas pressentie lorsque je les avais vues pour la première fois. Elles avaient pris une signification
qui leur était propre, dans un cadre plus épuré. Elles devenaient des personnages drapés de couleurs, de
vie, d’humour, d’histoire et d’histoires. Affublée de son voile, la voiture quitte son rôle, elle n’est plus
« l’objet de grande consommation », ni la simple illustration de la « vie moderne ». Elle se départit de
son caractère masculin, ne porte plus les lourds devoirs de puissance ou de richesse que son propriétaire
lui impose d’ordinaire. Ici, dissimulée sous sa toile personnalisée, elle devient ludique, séduisante,
féminine et a soudain l’autorisation d’être témoin du temps qui passe. Les voitures bâchées
appartiennent aux rues turbulentes des villes, à leurs marchés impromptus, aux scènes insolites qui s’y
déroulent, à leurs décors de théâtres délabrés. La voiture y est une actrice parée, dont la robe et la
scène accompagnent l’identité. Une harmonie s’installe, née de l’alliance du modèle et de sa toile avec
les petits détails de la vie frénétique de la rue.
Aussi je photographie la voiture bâchée ayant un sens dans sa ville. J’évite de l’isoler de son cadre. Je
veux jouer avec le fond, l’environnement, le hasard. Sans le vouloir, et sans le savoir, les propriétaires
de ces véhicules couverts pratiquent une forme d’art urbain, un art brut et spontané. J’ai envie de me
faire simple témoin de leur oeuvre, de monter une Egypte simple et rieuse, la vie colorée et artistique
de la rue au travers de ces voitures insolites dont on ignore la marque et la carrosserie.